Comme un son de marchandisation

Publié le par Office de l'antitourisme

Ce texte sous forme de tract a été distribué à l'entrée du musée dauphinois où se tenait la première édition du Musée Electronique Festival, les 14 et 15 juin 2019 à Grenoble.

« Alors, pour moi, la clé de réussite dans le tourisme c'est l'anticipation. C'est un petit peu comme un chasseur qui vise, qui a dans sa ligne de mire un lièvre qui est en train de courir, il faut qu'il vise plus loin pour pouvoir l'atteindre. C'est un petit peu mon point de vue à moi par rapport au tourisme. » (Naïma Riberolles, responsable de la cellule Ingénierie & Développement d’Isère Tourisme dans Rencontres des Acteurs du tourisme de l'Isère 2018)

« Si le samedi, ils cherchent des « bonnes boîtes », c’est parce que durant 6 jours ils ont dû mener une vie dingue. [...] 6 jours de vie d’automate, 6 jours à apprendre bêtement, 6 jours réglés dans tous les détails, sans le temps de souffler, de penser ni de vivre. Le samedi soir, c’est une libération ! Mais là aussi, le fric attend ! Il faut payer pour se distraire, et se distraire comme l’ont prévu les patrons de boîtes. » (Guy Debord, "Sur l'incendie de Saint-Laurent-du-Pont", 1971, Guy Debord Œuvres, p.1070 )

 

Pourquoi y a-t-il tant de festivals électro et d'où vient cette boulimie festivalière ? Que nous vend-t-on, que venons-nous fuir, oublier et chercher ? Et, sincèrement, qu'y trouve-t-on ?

Les festivals se vendent, aussi, l'industrie en produit à la chaîne. Ce qui se vend c'est du « son » mainstream - donc de masse, standardisé, formaté - accompagné par quelques morceaux en « rupture » pour ne pas lasser le consommateur. L'intérêt est toujours la réalisation du profit, c’est-à-dire le but exclusif de l’entreprise. Les artistes eux-mêmes doivent se plier aux tendances, aux modes dictées par les goûts préfabriqués par l'industrie musicale. Leur talent ne se mesure qu’à leurs retombées médiatiques. L'autre intérêt est que ces sons mécaniques et hypnotiques sont une esthétique participant à la fabrique du consentement. Ils ne mettent de mot sur aucun maux. C'est un défouloir, un exutoire, une rupture - au travail et à l’ennui - au service de l'ordre. Un renoncement à tout changement au monde. Un conformisme.

Notre collectif s’interroge donc sur le rôle de ce genre de musique. Loin d’être rebelle, elle fait le choix politique de se mettre au service des politiques. Elle fournit la vitrine divertissante pour « vendre du temps de cerveau disponible ».

Cet événement festif, consensuel et branché, lance la saison estivale du tourisme. Support promotionnel, il est là pour assurer le prestige de la marque Alpes is(h)ere et montrer l’effervescence et le dynamisme obligatoires pour assurer l’« attractivité du territoire ».

La marque met en avant une politique touristique comme cheval de bataille promouvant une guerre économique sans merci « dans un contexte toujours plus concurrentiel »1, le « territoire » voisin devient l’adversaire. Le département s’inquiéterait-il du lancement par la Métropole, tout aussi absurde, de la marque « Grenoble Alpes » ?

Autrement dit, le département devient une marque comme celles que l’on retrouve sur nos emballages. La différence, c’est que l’emballage c’est nous et que le produit c’est encore nous, vendus dans tout ce que nous faisons !

Cette marque a donc pour but de réduire et d’enrôler tout ce que contient « notre territoire » au service d'une seule chose : sa valorisation économique. C'est à dire qu'il n'y a plus les travailleurs du tourisme et les autres : nous sommes tous contraints, que nous le voulions ou non, de contribuer à la production et à la promotion du tourisme. Nous devenons les agents de l'industrie touristique : des « ambassadeurs ». Tout doit être vendu ! Que ce soit la découverte des sentiers en montagne, celle de l’histoire et du patrimoine de l’Isère, ou de nos prétendues manières de vivre !

Ainsi, il faut « attirer des clients payants en les persuadant que la destination et les services existants, les attractions et les bénéfices correspondent exactement à ce qu'ils désirent et préfèrent, mieux que toute alternative. »2.

Cette idéologie hégémonique fait de nous des pantins, de vulgaires acheteurs-électeurs dans un supermarché à ciel ouvert dont nous sommes les magasiniers.

Une mythologie de l'« Isérois » est inventée par Alpes Is(h)ere . Celui-ci serait naturellement endurant grâce aux montagnes et innovant depuis toujours (hydroélectricité et nanotechnologies obligent). Aussi, les promoteurs d'Alpes is(h)ere n'ont cure de dire des absurdités pourvu qu'ils puissent montrer que « c’est ici, en Isère, que se situe le meilleur des Alpes. » La défense de « l'identité territoriale » – par ailleurs largement bafouée par les impératifs industriels mondialisés dont dépend la marque – est en soi très contestable.

Ce sont les politiques qui décident – encore – de nous imposer une « identité » !

N'en déplaise aux marketeurs : il n'y a pas d'identité iséroise ! S'il y en avait une elle serait de toute façon détruite par la déferlante de touristes qui se prépare.

Quête identitaire, promotion des « traditions » et valorisation des sciences & technologies sont un modernisme réactionnaire, une alliance d’utilité marchande et politique finalement conservatrice.

Jusqu’où sommes-nous prêts à nous soumettre ? Jusqu’à quel degré d'appauvrissement de l'esprit ? Le sens commun appellerait à contester cette marque et son monde pour recouvrer notre liberté d’abord volée par le travail puis par des loisirs prescrits et dirigés ! Le tourisme n'est qu'une forme de distraction dans une société où la reconnaissance sociale passe par l'aliénation au travail.

L'anglicisme du nom (is(h)ere) est là pour attirer les touristes à l’échelle internationale. Mais comment ceux-ci vont-ils venir ? En avion évidemment, puis par des voies rapides : écologiquement vertueuses en tous points, cela s'entend.

Étonnamment, le tourisme apparaît comme un nouvel eldorado pouvant allier « économie » et « écologie ». C'est pourtant occulter des aspects moins reluisants de celui-ci. Le tourisme a besoin de travailleurs précaires, souvent des jeunes ou des femmes, pour perdurer. Le tourisme détruit l'environnement par l'imposition d'infrastructures qui lui sont dédiées (projet de Center Parcs à Roybon, stations de ski...) en alimentant le fantasme d'une nature vierge que ces infrastructures détruisent.

Enfin, cette propagande pro-loisirs marchands est une anti-culture qui fabrique industriellement des désirs standardisés et appauvris. Le tout pour créer et formater une masse de consommateurs et la domestiquer. C'est décider – dans un mépris profond – pour les personnes ce qu’elles devraient faire de leur temps, ce qu'elles devraient visiter, ce qui devrait les divertir (c'est à dire les détourner de leurs préoccupations).

À l'usure, ces publicités nous font croire avec certitude qu'il n'y a pas d'autre monde possible, ni même souhaitable, en-dehors de l'utopie marchande.

L’Office de l’antitourisme, le 14 juin 2019

 

 

 Nous contacter: anti-tourisme@riseup.net

 

1. Selon le site internet Alpes is(h)ere

2. D'après OMT/IUOOT, Productivité et efficacité à terme des campagnes de promotion touristique, Genève, n.d.

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