Pollution, habitants en colère, écosystèmes en danger, le tourisme de masse exaspère - Interview accordée par Rodolphe Christin au site d'actualité Sputnik France

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Comment expliquez-vous que le tourisme soit désormais perçu comme quelque chose de globalement négatif ?

C’est une perception de la négativité du tourisme qui est récente. En tout cas, récente dans les manifestations visibles qu’elle prend dans les capitales européennes qui, à mon avis, restent minoritaires. On observe quand même un consensus global à la fois des pouvoirs publics, des pouvoirs privés et entrepreneuriaux, sur les bienfaits du développement touristique. En effet, il y a une réalité, pronostiquée par l’organisation mondiale du tourisme (OMT), qui prévoit des flux toujours plus importants de touristes dans le monde. C’est une industrie qui a de beaux jours devant elle, si aucun imprévu ne survient, mais qui effectivement rencontre, de par ses excès de plus en plus de contestations. C’est un nouveau phénomène qui va aller en s’amplifiant parce que les problèmes s’aggravent, notamment ceux liés à l’occupation de l’espace, à l’accès au territoire, ou encore à la gestion des ressources et des nuisances apportées par le tourisme.

Il y a quelque chose de particulier dans le tourisme c’est que les profits sont privés, mais la prise en charge des coûts occasionnés par celui-ci est bien souvent socialisée, c’est-à-dire que ce sont les pouvoirs publics, nos impôts, qui prennent en charge ces coûts.

 

Quels sont les dangers que représente le tourisme de masse ?

Le tourisme d’une manière générale, et non pas uniquement le tourisme de masse, comporte intrinsèquement des dangers. Le tourisme est une industrie comme les autres, qui a pour ambition de se développer toujours plus, poussé par une logique de recherche de profits maximums comme tout système capitaliste. Le tourisme n’échappe en rien à des logiques qui prévalent pour toute l’industrie. Ce sont donc des problématiques sociales parce que le tourisme occupe l’espace habité par des gens qui vivent sur place. Lorsque le tourisme est très développé, ils ont de plus en plus de mal à vivre normalement leur vie quotidienne parce que lorsque le nombre de visiteurs devient important, l’offre de biens et services se met à leur service, au détriment des résidents.

​C’est aussi un problème écologique, par exemple de gestion des déchets sur les territoires, des ressources en énergie, en eau. Pour cette dernière, dans certaines régions, cela crée des conflits d’usage, par exemple, entre les douches que doivent prendre les touristes chaque jour, voire plusieurs fois par jour lorsque le climat est chaud, l’entretien des terrains de golf sur lesquels ils s’amusent et puis l’irrigation agricole qui permet de produire de la nourriture. 

D’autre part, le tourisme est un facteur de pollution importante notamment parce qu’il repose beaucoup sur l’usage de l’avion qui est un producteur de gaz à effet de serre extrêmement important. L’impact écologique réside aussi dans les innombrables infrastructures nécessaires au développement du tourisme, qui altèrent les paysages: routes, autoroutes, aéroports, parkings, stations résidentielles, parcs d’attractions…

En outre, le tourisme pose également une problématique économique. Effectivement, si tout le monde vante les richesses produites par le tourisme, on a aujourd’hui suffisamment de recul pour s’apercevoir que le tourisme n’a jamais éradiqué la pauvreté notamment dans les pays du sud. De plus, l’économie touristique a toujours tendance à mettre sous sa coupe tous les autres secteurs d’activité comme l’hôtellerie, la restauration, le BTP ou même l’artisanat. Or, c’est une économie qui dépend de flux extérieurs au territoire donc elle reste de ce fait potentiellement très fragile.

Si pour une raison ou pour une autre les flux de touristes sont contrariés, c’est tout un territoire, toute une région, tout un État qui peut se retrouver dans une situation difficile.

 

Les populations locales sont de plus en plus méfiantes face au «surtourisme». On pourrait citer le cas de Barcelone où l’on a vu fleurir des graffitis «Tourists go home, refugees welcome» [touristes rentrez chez vous, réfugiés bienvenus, ndlr]. Comment expliquez-vous ce ressentiment ?

Les gens commencent à mal vivre le tourisme, de manière intense et ils le manifestent. Notamment, dans certaines grandes capitales marquées par ce qu’on appelle désormais le “surtourisme”. En effet, ces villes sont confrontées à une croissance rapide de la fréquentation touristique. Néanmoins, c’est important de souligner que, si on en parle beaucoup, car c’est devenu une espèce de concept à la mode, ce phénomène de saturation n’est pas récent. Ces phénomènes existent depuis les débuts du tourisme […], mais ils affectaient des lieux circonscrits dont personne ne parlait. Aujourd’hui, ce qui est nouveau, c’est que ce phénomène impacte les grandes capitales européennes et que les gens se mobilisent pour manifester leur mécontentement de manière ostensible. Nombreux sont les médias qui s’en emparent et donnent de la visibilité à ces mouvements. A titre personnel, cela fait près de 15 ans que je développe dans l’ombre une critique du tourisme et c’est seulement depuis ces deux dernières années que les sollicitations affluent.

Il est important d’analyser, de critiquer le système touristique pour éviter une espèce de ressentiment qui pourrait être parfois xénophobe et qui pourrait s’attaquer aux touristes.

​Comment pourrait-on allier le tourisme avec la préservation de l’environnement et des cultures voire des spécificités locales ? Le tourisme «éthique» peut-il être une solution ?

Le tourisme éthique, ou solidaire, est un segment commercial de plus, qui est sans doute moins toxique que les autres, mais qui n’est en aucun cas une solution au problème. Il correspond aux envies d’une clientèle qui a envie de se dédouaner des méfaits du tourisme en versant un peu plus d’argent aux sociétés locales, ou en consacrant une part du forfait acheté à la préservation ou à la restauration des écosystèmes locaux.

Néanmoins, ces déplacements écotouristiques ou de tourisme équitable se font souvent en avion comme n’importe quel déplacement touristique pour des durées qui sont relativement courtes. Leur impact écologique est loin d’être neutre et, pour ce qui concerne les relations nord-sud, l’échange touristique reste asymétrique: des riches vont visiter plus pauvres qu’eux et ce n’est pas grâce à ce type de tourisme qu’on va éradiquer la misère.

Le tourisme responsable ne règle pas les problèmes. Si tous les touristes se mettaient à acheter des forfaits de tourisme équitable, très vite ça ne resterait pas responsable, équitable et écologique bien longtemps.

 

Finalement, quelle pourrait être la solution idéale ?

De mon point de vue, la solution serait de se livrer à une forme de décroissance touristique, qui reviendrait à prendre le contrepied des logiques du capitalisme et de la société de consommation. Pourquoi a-t-on autant besoin de partir en vacances ? Qu’est-ce que cela signifie ? Est-ce le symptôme d’une vie quotidienne devenue extrêmement harassante, invivable ? Il faudrait donc réfléchir sur les moyens à mettre en œuvre pour transformer cette vie quotidienne.

Sur un plan politique, à court terme, je serais plutôt partisan de la mise en place d’un moratoire afin de cesser de créer des infrastructures touristiques qui transforment durablement la vie dans les territoires. Par ailleurs, il faut remettre en cause et comprendre ce que cela signifie d’avoir une économie qui serait entièrement dévouée au tourisme. En disant cela, j’ai bien conscience d’être complètement à l’opposé de ce qui se profile. En effet, tous les pays du monde, tous les territoires, toutes les régions veulent développer ce secteur d’activité. 

Pourtant, l’activité touristique n’est absolument pas compatible avec un monde en transition, en lutte contre les dérèglements climatiques. On parle beaucoup de transition écologique, énergétique, liée notamment aux transformations du climat, mais si on veut répondre à ce défi de manière non hypocrite, il faudra, à un moment donné, revoir tous nos comportements, y compris nos comportements touristiques. Par conséquent, il nous faudra revoir les organisations mises en place pour développer le tourisme. Au-delà, il devient nécessaire d’envisager une sortie du capitalisme vers des sociétés plus égalitaires, qui expérimenteraient ce qu’à la suite de Murray Bookchin j’appellerais des formes d’“écologie sociale”. Comme nous ne sommes pas à la veille d’un tel mouvement, le tourisme a de beaux jours devant lui.

Après c’est également une réflexion sur le sens de la vie. Souhaite-t-on devenir les figurants de l’industrie touristique ? Voir nos territoires se transformer en parc d’attractions ou en zone commerciale à ciel ouvert ? Est-ce intéressant de vivre dans ce monde-là ? C’est une réflexion politique qu’il faudrait mener de manière un peu sérieuse, c’est-à-dire radicale.

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