Au Pays Basque nord- Les deux faces du tourisme

Publié le par Kris pour la revue Courant alternatif n°302, été 2020

Au Pays Basque nord- Les deux faces du tourisme

Il y a deux faces du tourisme au Pays Basque nord : dévoreur d'espace, envahissant, bétonneur et pollueur sur le littoral atlantique ; vert, diffus, à l'intérieur du pays rural et montagnard. Mais l'ensemble doit être analysé comme un tout cohérent car c'est la diversité de ce territoire qui le place en bonne position sur le marché du tourisme et aiguise l'appétit de ses racketteurs-proxénètes.

 

Le tourisme sur le littoral...

L'urbanisation du bord de l'océan devient de plus en plus indigeste et, en été, le littoral basque devient quasi invivable à cause de l'affluence touristique.

Les cités côtières sont en chantier permanent pour de nouvelles constructions et infrastructures. Et les conséquences les plus néfastes - qu'on retrouve aussi dans le Pays Basque intérieur, mais à une échelle moindre - ce sont celles qui ont trait au logement et au foncier : renchérissement de l'immobilier ; perte des terres agricoles au profit du foncier "constructible".

Les résidences secondaires, consommatrices d’espace et complices de spéculation, sont pointées du doigt (1). Sur le littoral, les logements laissés vides tout au long de l’année se chiffrent en dizaines de milliers, alors même qu'on ne parvient pas à répondre à la demande en logements principaux ; et dans le même temps, on construit à tour de bras des logements qui sacrifient des terres agricoles et qui seront, pour beaucoup, accaparés par les spéculateurs et transformés en habitations touristiques saisonnières. Véritable cercle vicieux. Pourtant le calcul est simple : 5000 résidences secondaires en moins, ce serait 5000 logements en moins à construire pour répondre au besoin de se loger, donc moins de bétonisation du pays. La plupart des résidences secondaires sont réservées pour des locations de courte durée, absorbées par la plateforme californienne Airbnb. Le nombre de ces locations a explosé ces dernières années : ainsi, à Anglet, il est passé de 710 en 2016 à 1 700 l'an dernier. Aujourd'hui, on estime à  9 000 le nombre d'appartements du réseau Airbnb au Pays Basque, dont plus d'un tiers à Biarritz. L'ubérisation de la filière locative fait grimper le prix du m2 rendant indisponibles des locations à l'année. Le logement devient inaccessible tant les loyers atteignent des sommets faramineux : 5 500 euros le prix du m2 à Biarritz -avec vue sur mer, cela peut aller jusqu'à 12 000 euros-, et presque autant à Saint-Jean-de-Luz ; une maison vaut 550 000 euros en moyenne.

Pour tenter d'empêcher la multiplication de logements mis en location sur Airbnb, les élus de la Communauté d'Agglomération du Pays Basque ont décidé, depuis janvier 2020, de restreindre les appétits des propriétaires : une seule autorisation leur est accordée pour mettre un logement sur Airbnb dans les zones  les plus attractives qui bordent l'océan ; deux dans les zones un peu éloignées de côte ... et autant qu'on veut dans les zones de l'intérieur.

Autre mesure légale, permise depuis 2017 : le recours à la taxation à 60% sur les résidences secondaires afin d'inciter le retour d’appartements ou maisons sur le marché locatif à l’année. Seules trois communes du littoral ont appliqué ce niveau de taxation. C'est une manière, évidemment, d'arrondir les revenus des municipalités ; mais c'est un levier très inefficace contre le nombre de résidences secondaires, cette majoration de 60% représentant soit une broutille pour des riches capables de débourser jusqu'à 1 million d'euros pour acheter une villa ; soit une incitation à faire de ces résidences des locations saisonnières, entretenant ainsi le cycle d'un marché immobilier destiné aux riches transformé en marché locatif réservé aux riches.  49% des personnes qui ont acheté une résidence secondaire en 2019 l'ont fait dans l'intention de pouvoir la louer en saison.

Quand l'espace est saturé par les flux de vacanciers, le marché touristique s'avère encore expansible : les promoteurs, appuyés par les élus de tous bords, créent d'autres infrastructures pour tenter de disséminer les touristes sur un territoire plus vaste. Et ces promoteurs sont même prêts à prendre en charge la critique du tourisme de masse dont ils sont responsables pour exploiter un autre filon, celui d'un tourisme présenté comme alternatif.

Des tentatives sont donc faites pour déconcentrer des flux touristiques de la côte vers les zones rurales en "développant l'attractivité de l'intérieur du pays, par la communication et l’hébergement", comme le présente un élu de la gauche abertzale (= indépendantiste), responsable du tourisme à la Communauté d'Agglomération du Pays Basque. C'est une manière de répondre à "trop de tourisme" par encore plus de tourisme. Plutôt que de faire du tourisme diffus, il s'agit de diffuser le tourisme.

 

... déborde sur l'espace rural

Le discours protouristification s'est affublé de qualificatifs euphémisants : tourisme vert,  intelligent, durable ...  ; tout cela n'est que gadget destiné à vendre mieux un produit conforme à l'idéologie ambiante. Ainsi, ce qui a été moins  exploité hier n’est même plus une « réserve », mais du capital sur pied : un investissement, l’équivalent d’un placement boursier en nature dont le devenir est, comme tout placement, livré aux lois de la rentabilité. Ces espaces de vie façonnés et entretenus depuis des siècles par le travail des petits paysans devraient ainsi devenir des lieux aseptisés, fantasmés, où se ressourcent les damnés du monde urbain et du travail stérile, à grands renforts d'activités préparées à l'avance et prêtes à consommer et de points d'attractivité créés artificiellement. De quoi se dire que si les villes n'avaient pas été rendues invivables, et si on n'était pas éreinté par l'exploitation quotidienne au point de vouloir "se refaire une santé" et de "se mettre au vert", on n'en serait pas à choisir sur internet le coin de terroir pas encore trop esquinté par des aménageurs du territoire.

Si quelques paysans se trouvent amenés à s'impliquer dans des activités plus ou moins liées au tourisme pour sauvegarder  leur situation individuelle et pallier la faiblesse de leurs revenus, le tourisme en zones rurale ou de montagne touche (ne peut toucher qu') une minorité de paysans. Ce n'est qu'un miroir aux alouettes agité devant des populations touchées par la désertification, le sous-emploi et le déchirement du tissu culturel dus au développement du capitalisme et à qui on fait croire que l'agro-tourisme créera des emplois en contribuant à la richesse d'une région. Dès la fin des années 80, années 90 au Pays Basque nord, c'est la mise au pas et en conformité touristiques des zones rurales. La politique de touristification issue de choix politiques et financiers aux niveaux français (de l'Etat jusqu'aux communes ) et européen, se fait plus "rationnelle". Le tourisme est passé "d'une simple activité de cueillette" (2) (un voyageur en liberté qui choisit où il va au dernier moment ou qui se contente de venir et, pour le reste, verra sur place) à un tourisme organisé  selon une stratégie de commercialisation volontariste, plus cohérente et fonctionnelle ; ceci par l'usage de la publicité,  "la production de produits complets " livrés clé en main (hébergement  assorti d' activités culturelles, sportives, de découverte...).

L'accueil en milieu rural devient ainsi le nouveau credo. Il faut des "gîtes ruraux" (où les bâtiments agricoles devront être cachés le plus possible), labellisés,  standardisés, reproduisant les  conventions d'existence de l'ordre dominant où l'épi, signe ostentatoire de qualité, s'obtient à grand renfort de luxe conforme au confort bourgeois et sans aucun rapport avec les traditions paysannes.

Selon les promoteurs, "le touriste doit pouvoir entrer sur la pointe des pieds dans le monde basque" ; quant aux paysans, il est même prévu à l'époque de leur consacrer un temps de formation pour leur apprendre, en tant que propriétaires de gîtes, les langues étrangères... afin sans doute qu'ils puissent entrer avec leurs gros sabots dans le monde du tourisme....

Pour cet été 2020 atypique, tous ceux qui tirent des revenus de l'activité touristique attendent avec inquiétude de voir ce que donnera la "saison" au Pays Basque. S'ils craignent quelques faillites dans les secteurs les plus fragiles, ils font le pari que l'appétit d'espace, de lieux moins fréquentés et de verdure aura été exacerbé par le Covid-19, que les touristes, aussi pour des questions financières, se déplaceront plus qu'à l'habitude dans les limites des frontières de l'hexagone ; et que donc, globalement, le tourisme au Pays Basque  tirera son épingle du jeu.

Le directeur de l'office de tourisme du Pays Basque est optimiste : "Cette crise (...) peut être malgré tout une opportunité pour le Pays Basque. Les Français, et même les étrangers, auront une envie de nature, d'espaces, de circuit-courts, d'agriculture paysanne... et tout cela correspond complètement à l'ADN du territoire." En effet, et c'est un immense paradoxe, le Pays Basque connaît un succès d’autant plus important qu'il le doit à son caractère authentique, préservé par des luttes militantes qui ont empêché que décideurs et promoteurs ne le transforment totalement en Riviera de l’Ouest. Ce territoire a à peu près échappé  à ce que le sociologue Rodolphe Christin (3) appelle des “lieux sans qualité” où les singularités des paysages, des cultures, des individus sont en voie de disparition. Les promoteurs du tourisme n'ont plus qu'à  “surfer” sur l'identité, la culture, les particularités du Pays Basque pour vendre au touriste en quête d’altérité une carte postale d’une rare qualité…

Pour cet été les institutions du Pays Basque et du Béarn cherchent à rivaliser avec les autres régions, à coups de campagnes de promotion et d' incitations financières, non seulement pour attirer des estivants mais aussi pour  que les habitants mêmes du département soient les premiers consommateurs touristiques de leur territoire. La mode aux locatouristes, donc, comme il y a des locavores...  (Encart )

***

1- Biarritz : 41% de résidences secondaires (10 500 logements)
Saint-Jean-de-Luz : 47% de résidences secondaires (6 400 logements)
Guéthary : 48% de résidences secondaires (600 logements)

2- Ce tourisme de "cueillette" concerne surtout les zones en voie de désertification, avec moins d'intermédiaires pour le transfert de l'argent mais moins de sous globalement.

3- Rodolphe Christin, sociologue et auteur, a publié en 2010 plusieurs ouvrages  critiques sur le tourisme. Entre autres : L'imaginaire voyageur ou l'expérience exotique (2000) ;  L’usure du monde. Critique de la déraison touristique (2014) ;  Manuel de l'antitourisme (2018 ; "La vraie vie est ici - Voyager encore?" (2020).

 

 

Encart

 

"Habitants, consommez du tourisme au niveau local, devenez les "touristes du territoire" !

Cela sera sans doute une tendance de l'après confinement liée à des contraintes économiques : s'en tenir à une destination de proximité, non pas par choix mais parce que beaucoup auront  perdu une part de leurs revenus en activité partielle ou leur emploi. Il semble, au 10 juin, que 40% de Français ne partiraient pas en vacances cet été.

Pour relancer l'activité, le département des P-A va dépenser 1 million d'euros pour  une "Opération 64 à 64", qui a pour but d'inciter les habitants à "consommer des activités et hébergements dans le département".

De même qu'on devient locavore adepte des circuits courts dans l'alimentaire, on pourrait être locatouriste. Cela peut paraître séduisant : réapprendre à voir, à découvrir ou redécouvrir ce qui nous entoure, dans nos territoires de proximité... Mais l'industrie touristique ne saurait laisser cela sans intervenir ni baliser le terrain ; avant tout, cela doit passer par la transformation des habitants en "consommateurs", s'accompagner d'incitations promotionnelles et publicitaireset passer par la valorisation financière de ce qui n'avait jusque-là pas de prix.

 

Cet article et cet encart ont été  publiés dans la revue Courant alternatif n° 302 de l'été 2020 dont un dossier était consacré au tourisme. (http://oclibertaire.lautre.net/IMG/pdf/ca_302_ete_2020.pdf)

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article