À bas les pistes cyclables et les véloroutes

Publié le par Marco

À bas les pistes cyclables et les véloroutes

Le texte ci-dessous est paru dans le n°15 de la revue entièrement dactylographiée Chasse-goupille qu'un exposant nous a proposé à la lecture lors du festival Vél'osons du 23 et 24 octobre 2021 à Chambéry.

Éloignez les parents qui ont l’habitude de traîner leur progéniture dans une remorque fixée au vélo, éloignez les vieilles et les vieux pour qui le vélo électrique rime avec liberté retrouvée, éloignez celles et ceux qui présentent une allergie à la mauvaise foi et aux arguments capillotractés. En effet, il s’agit bien là de dézinguer les pistes cyclables et les véloroutes.

À bien y réfléchir, n’est-il pas paradoxal que les ‟critical massʺ ne soient devenues, en un peu plus de vingt ans, que des gentilles vélorutions empruntant majoritairement des… pistes cyclables et revendiquant principalement la réalisation de… pistes cyclables ? Les vélos ne devaient-ils pas prendre la place des voitures des automobiles ? Au lieu de cela, nous voilà parqué-e-s sur des pistes — mais à l’écart du reste du trafic. La voiture nous a consenti un espace… loin d’elle alors que nous aurions voulu prendre sa place. On s’est fait avoir ?

En tout cas, le message — même implicite — est clair : les routes, c’est pour les voitures ; les vélos, vous avez pour vous les pistes cyclables et les véloroutes. (D’ailleurs, ne devrait-on pas voir dans l’essor du gravel la tentative ultime du lobby automobile de faire disparaître totalement les cyclistes de la vue — même de loin — de tout engin motorisé à quatre roues ?)

Plus sérieusement, d’année en année, de jour en jour, je sens monter de plus en plus intensément un sentiment d’insécurité quand je persiste à rouler le long des routes sur lesquelles le trafic ne cesse de croître.

Là où, vingt ou trente ans auparavant, le coup de klaxon se voulait avant tout une marque de respect et un signal de sécurité, il s’est mué aujourd’hui en un avertissement agressif « tu n’es pas le bienvenu ici, toi le deux-roues non motorisé. »

Dès lors, que faire les jours d’après chute de neige ? Ranger le vélo car la piste cyclable sur la digue longeant la rivière n’est pas déneigée ou alors emprunter la route principale — évidemment déneigée, elle ! — suivant un tracé quasiment parallèle, au risque de se faire découper en morceaux ou insulter ?

Éloignons-nous encore un petit peu plus de la ville. Cela va nous mener, qu’on le veuille ou non, sur une de ces toutes nouvelles véloroutes qui poussent un peu partout tels les ronds-points en périphérie des villes. Des arguments touristiques imparables à destination des catégories citées en introduction dont le pouvoir d’achat permet de dépenser, en moyenne, quatre-vingts euros par personne et par jour le long de la Loire à vélo[1].On comprend mieux l’empressement avec lequel des collectivités mènent des projets tels que la ViaRhôna. Mais ces véloroutes alimentent l’entre-soi vélocipédique. On rencontre des randonneurs et randonneuses à vélo (on ne rencontre d’ailleurs que ça !), on pique-nique avec, on bivouaque avec, … Certaines véloroutes deviennent des caricatures d’elles-mêmes. Ainsi, vers Cortina d’Ampezzo (province de Belluno en Italie sur la véloroute Munich-Venise), elle emprunte, dans des paysages certes à couper le souffle car dolomitiques, le tracé d’une ancienne voie ferrée. Tous les villages se trouvent à environ cinquante mètres en contrebas et les seules habitations rencontrées sont les anciennes gares… toutes transformées en café vélo ‟à la modeʺ. Autant dire que pour rencontrer les indigènes, … ?! Artificialisation partout.

Et puis comment accueillir favorablement la disparition d’une ligne de chemin de fer, même si c’est pour en faire une véloroute ?

J’entends déjà l’argument défendant la potentielle fin du train des Pignes entre Nice et Digne ou celle de la ligne entre Grenoble et Gap : « mais, rassurez-vous cela permettra la construction d’une superbe véloroute ! ». Argument touristique imparable[2].

Autres lieux, même ras-le-bol : je me souviens de véloroutes ou pistes cyclables particulièrement vicelardes. Comme si la perversité et le sadisme avaient poussé les aménageurs-euses à créer des cheminements cyclistes empruntant TOUTES les aspérités du terrain : montée à plus de 15%, descente à 25%, re-montée à 18%, circonvolutions dans tous les sens alors qu’à une dizaine de mètre de là, la route est quasiment plate et rectiligne ! Argh ! Je pourrais continuer la liste des exemples, vous pourriez aussi le faire, réfléchissez bien. Je vais juste terminer par une dernière source d’irritation : la piste cyclable comme argument politique de la gentrification. Dans la commune dans laquelle j’habite, cité dortoir plutôt laide en périphérie de la ville la plus plate de France, il s’agit, lors des prochaines élections municipales, de déloger les communistes aux commandes depuis trop longtemps et donc de transformer l’image de la ville. Le processus est déjà en marche (du street art, des magasins bio tout beaux, tout neufs, …) et tend à s’accélérer par l’ouverture d’une classe bilingue dans un collège à la réputation peu flatteuse, histoire d’attirer des enfants de cadres. Et donc, sur la liste des projets de certains candidats pas forcément écolos : la transformation de l’artère principale afin d’y créer… une piste cyclable.

De la ‟critical massʺ au parcage ghettoïsant qui ne gêne plus le trafic automobile, de la prise de l’espace urbain à la récupération politicienne et consumériste, on s’est donc bien fait avoir !

Un peu au nord de Hambourg, dans la région du Schleswig-Holstein, nous débutons sereinement notre tour de la mer Baltique à vélo.

La route nationale, large, large, est déserte mais nous empruntons quand même, dociles, la piste cyclable qui la côtoie, séparée d’elle par une bande herbeuse d’une dizaine de mètres de large.

Alors que notre bande bitumée est ravagée par les racines des arbres la bordant la route présente un revêtement parfait. Aussi, après quelques kilomètres confinant à la torture mentale et physique, nous décidons de franchir la zone neutre pour prendre place sur cette route si large que quatre voitures pourraient s’y croiser simultanément. Personne. Ah non !

Coup d’œil dans mon rétroviseur. Une voiture arrive au loin. Bizarre… Le conducteur ne cherche pas à nous doubler. Encore plus bizarre : il nous colle, nous talonne en faisant ostensiblement vrombir le moteur.

On n’en mène pas large. Il décide enfin de nous doubler en un phénoménal crissement de pneus et un rageur hurlement du moteur. Soulagé-e-s ! Sauf que, quelques centaines de mètres plus loin, il s’est garé… en travers de la route ! Il sort tel un fou de l’habitacle et se poste, bras et jambes formant un X parfait, lui aussi en travers de la route.

Forcé-e-s de nous arrêter, nous nous arrêtons. « Hier ist die Bundesstrasse ! » nous hurle-t-il. Il ajoute, joignant le geste aux éructions : « vous, c’est là-bas que vous devez être ! ». Voulant éviter d’être tué-e-s ou pire qu’il nous casse nos vélos, nous franchissons dans l’autre sens, penaud-e-s, les quelques mètres herbeux.

Satisfait de lui, le justicier de la route reprend la sienne, nous reprenons la nôtre et nous nous demandons quelques minutes si nous devons retraverser.

 

[1] http://www.agence-paysdelaloire.fr/wp-content/uploads/  rien ? Mais si cherchez bien ! Eh oui : les cabines téléphoniques devenues d’enthousiasmantes boîte à livre ! Rapport-etude-La-Loire-à-Vélo-2015.pdf

[2] Supprimer un équipement collectif pouvant être utile pour le remplacer par quelque chose que tout le monde trouvera forcément bien sympathique, ça ne vous rappelle rien ?

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