Pass sanitaire, contrôles et antitourisme

Publié le par Henri Mora pour l’Office de l’antitourisme de Grenoble

Pass sanitaire, contrôles et antitourisme

A l'invitation de nous rencontrer les 23 et 24 octobre 2021 au festival Vél'osons à Chambéry, une personne abonnée à ce blog nous adressa un message dans lequel elle évoquait sa surprise d'apprendre que nous y allions être présents alors qu'on allait nous demander le pass sanitaire pour y tenir le stand. Elle nous faisait part également de son refus à se rendre dans un lieu où on nous contrôle.

Nous vous proposons ci-dessous notre réponse à ce message.

 

Bonjour,

 

L’antitourisme que nous contribuons à faire connaître et à développer peut en effet porter en lui une critique des contrôles se répandant de plus en plus dans notre société : état d’urgence, surveillances militaire, policière et numérique renforcées, sanctions pénales et fiscales et répressions de plus en plus nombreuses, intelligence artificielle, contrôle de nos données numériques par les entreprises et plus largement : travail, consommation, markéting, publicités, lobbies et influenceurs, etc.

 

La question brûlante du pass sanitaire est posée par de nombreuses contestations que nous entendons régulièrement depuis déjà quelques mois. Nous comprenons qu’on puisse individuellement boycotter les lieux qu’on soumet à ce type de contrôle. Mais notre présence comme votre absence à ce festival n’auront absolument aucun effet sur la société de contrôle que nous condamnons avec vous. De la même manière que si individuellement quelqu’un boycotte le numérique, il peut probablement se retrouver en résonance avec ce qu’il pense, ce qui est surement louable d’un point de vue personnel, mais il est fort à parier que le numérique ne s’en portera pas plus mal. Trop souvent, de la critique sociale formulée, un changement de comportement personnel est attendu. Comme si le changement social espéré allait venir de la somme de ces changements de comportements individuels et séparés. De plus, cette manière d’aborder les problèmes joue seulement sur une espèce d’exemplarité s’appuyant sur des principes moraux cherchant à faire des reproches à celles et ceux qui agiraient autrement.

 

Dans cette affaire de pass sanitaire, vous nous laissez entendre que le bon comportement aurait été de refuser le contrôle et que notre attitude « anti-beaucoup de choses » vous a surprise, insinuant par-là, semble-t-il, que nous aurions dû comme vous boycotter le festival. Mais nous ne sommes que les victimes de cette politique de contrôle ; tout comme les organisateurs du festival qui se trouvent dans l’obligation de faire ces contrôles sous la menace de ne pas avoir les autorisations pour que le festival ait lieu. Si vous nous aviez invités à nous organiser avec les organisateurs du festival, peut-être aurions-nous cédé à la tentation de participer à une lutte commune des exposants et organisateurs contre ce contrôle du pass sanitaire. Sans cela, nous avons décidé de faire autrement et d’exposer notre critique du tourisme confondue à celle du contrôle social. En effet, si le contrôle du pass sanitaire numérisé contribue à ce monde orwellien, le tourisme y concourt également et depuis longtemps.

 

Les voyageurs en partance pour l’étranger et "épris de liberté" se soumettent régulièrement aux contrôles des frontières. Les documents d'identités à données biométriques (carte d'identité ou passeport) sont nécessaires pour les passer et quelques fois le pays n'accueille les voyageurs qu'après leur avoir donné l'autorisation pour une durée précise, sous forme de visa touristique que le voyageur aura préalablement demandé à l'ambassade ou au consulat. Selon leur destination, certains vaccins sont exigibles pour l’entrée dans certains pays et par conséquent le carnet de vaccination fait office de pass sanitaire. Mais les voyageurs prenant l'avion pour se rendre à destination devront d'abord se soumettre à une surveillance assez active et très attentive. Les aéroports sont en général des lieux bien plus contrôlés que n’importe quel festival en période de crise sanitaire. Les forces de sécurité militaires, douanières et policières sont nombreuses et les sacs et valises du voyageur systématiquement contrôlés. On y scrute votre comportement par caméra de surveillance (9000 caméras à Roissy nous dit-on). Les sas biométriques à reconnaissance digitale ou à reconnaissance faciale automatisée détectent votre identité. Pour contrôler le Covid, des caméras thermiques permettent d'inspecter la température du flux des voyageurs et d'identifier les fiévreux.

 

La qualité d'un site touristique se mesure également en garantissant la sécurité des touristes. Le label « Sécuri-site » engage les contractants à renforcer la sécurité des sites touristiques labellisés et leurs visiteurs, la convention du site déterminant les mesures de sureté à prendre. Il en va sans dire qu'il s'agit bien évidemment de renforcer les contrôles par la présence de policiers en nombre mais pas seulement, et de répondre aux mesures de sécurisation mis en œuvre sur la base de convention de site. Le lobby du tourisme l'Alliance 46.2 devenue depuis l'Alliance France Tourisme, proposait même de créer une police spécialisée pour protéger les touristes et retenir la circonstance aggravante pour les délits commis dans les zones touristiques.

 

Pour les autorités publiques, la surveillance généralisée devient nécessaire dans leur lutte contre le « surtourisme ». Un système de traçage et d'analyse des données des téléphones portables couplé aux caméras de vidéosurveillance permettront prochainement de gérer en direct les flux des visiteurs. A Venise ou à pékin pendant les Jeux Olympiques, mais également dans nos montagnes la géolocalisation des smart-phones permet déjà de fournir des indicateurs « classiques » pour mesurer la nature de la fréquentation d'une zone géographique afin, nous dit-on, de mieux accueillir le voyageur ou le touriste. La gestion des flux touristiques peut également se faire par l'argent.

 

La marchandisation et la privatisation à des fins touristiques permettent aussi de s'accaparer des territoires et de les contrôler. Les zones touristiques internationales mises en place par la loi Macron en 2015 permettent aux employeurs des magasins de ces zones de faire travailler leurs employés, les soirs et les dimanches. Le tourisme comme loisir marchand s'approprie le temps mais aussi l'espace. Certaines plages deviennent privées, certains parcs « naturels » sont soumis à des règles de protection du site mais en vérité participent grandement à l'attractivité du territoire et à sa marchandisation associée. L'accès à certains parcs naturels à l'étranger, mais aussi à d'autres sites touristiques sont soumis à redevance. Pour accéder à certains lieux et espaces, le touriste doit franchir un portique en s'acquittant d'un droit d'entrée. Plages, parcs naturels et probablement l'accès à certaines villes touristiques prochainement comme Venise, mais aussi autoroutes, parkings, réservations nominatives dans les refuges en montagne, etc., après en avoir fait la publicité pour attirer le voyageur et ses économies en poche, l'argent sert aussi à contrôler la fréquentation touristique et la limiter à un quota défini par l'administration.

 

Le tourisme est une forme de contrôle social large puisqu’il est l’aboutissement marchand des congés payés qui séparent et compensent deux périodes de travail. Qu’il soit de masse, alternatif ou qu’il développe le vélo, le tourisme formate les voyageurs aux exigences de la marchandise et de sa protection.

 

Nous aurions pu discuter de toutes ces questions avec vous et regrettons sincèrement que vous ayez choisi de boycotter ce festival.*

 

Cordialement,

 

 

* Notre correspondante nous souligna ultérieurement qu'elle n'avait pas boycotté l'événement puisqu'elle avait participé à l'organisation de deux stands qui furent tenues durant les deux jours de festival par des volontaires ne refusant pas le contrôle.

Vous pouvez retrouver ci-dessus le texte en pdf pour l'imprimer

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