Tourisme et artificialisations

Publié le par L'Office de l'antitourisme de Grenoble

Tourisme et artificialisations

Le tourisme en général a contribué fortement à l’artificialisation des terres notamment en France. Nous pouvons en effet lui décerner la palme pour l’ensemble des aménagements d’accueil et des infrastructures d’accessibilité qui lui ont permis de se développer et de faire en sorte que le pays devienne la première destination mondiale. Le tourisme bleu (maritime, fluvial et côtier), le tourisme blanc (montagnard) et le maillage de plus en plus serré de leurs voies d’accès n’évoquent jamais la véritable couleur du tourisme : celle-ci se rapproche davantage du gris comme le béton qu’ils ont nécessité et du noir comme le bitume déroulé pour recevoir dans les meilleures conditions l’invité, ses poches remplies de l’argent qu’il aura économisé à cet effet.

Malgré l’abandon de plusieurs grands projets liés au tourisme (aéroport de Notre-Dame-des-Landes, Center Parcs et EuropaCity), l’artificialisation reste d’actualité comme leurs projets alternatifs…  Plus soucieuse sur la question, la nouvelle politique touristique n’envisage pourtant pas de la réduire. Elle renoncerait peut-être — l’avenir nous le confirmera ou pas — à la concentration de projets monolithiques énormes mais pour lui préférer des projets plus diffus et diversifiant les activités touristiques comme le nouveau plan montagne le propose : il envisage notamment de remplacer les stations de ski d’hiver en station de montagne toute l’année… Après la crise sanitaire dont il a été le vecteur et qu’il subit toujours de plein fouet, le tourisme bénéficie de toutes les aides de l’État pour se reconstituer et se développer à nouveau mais, nous dit-on, de manière différente. Une partie du plan de relance est même attribuée pour lutter contre l’artificialisation des sols.

Le tourisme vert se développe depuis déjà quelques années et laisse présager de la prise en compte des problèmes environnementaux et par conséquent de l’artificialisation des sols. Mais à y regarder de plus près l’augmentation du nombre de touristes parcourant ces nouveaux circuits labélisés écolo-compatibles contraint à la construction ou à la modification d’infrastructures d’approche et d’accueil. On creuse des tunnels et on élargit les routes conduisant à ces circuits labélisés. On construit et on agrandit les parkings d’accès de ces innombrables nouveaux circuits verts… Mais la plus pernicieuse de ces artificialisations serait avant tout de modifier les rapports sociaux et de transformer la vie sociale et économique de ces nouvelles destinations. La mise en tourisme implique une hausse des loyers et du foncier. Elle se caractérise aussi par des habitations secondaires très souvent vides hors saison touristique. Quant au riverain vivant à l’année elle le transforme en figurant de « l’authentique » ; rôle que les plaquettes promotionnelles lui demandent aussi d’assurer. Les politiques d’attractivités et le marketing territorial poussent les collectivités à développer une identité locale afin d’en faire la promotion.

Certaines particularités mises en valeur ou totalement produites seront portées par cette construction identitaire façonnée pour attirer le chaland saisonnier urbain. Celui-ci imposera l’image qu’il peut se faire de cette vie à la campagne et certaines commodités dont il ne peut pas se passer ; l’arrière-pays devenant son espace naturel idéalisé, son terrain de jeu ou sa banlieue des loisirs. Pour le riverain, qu’il soit paysan ou artisan, cette artificialisation représente malgré tout la présence d’une nouvelle clientèle dont il aurait du mal à se passer les jours de marché et par la vente directe à la ferme ou dans son atelier ; les visites à la ferme ou à l’atelier feront même partie du nouveau circuit touristique... 

Dans Le ménage des champs, Chronique d’un éleveur au XXIe siècle, l’auteur Xavier Noulhianne nous dit : « Dans l’agriculture, certains producteurs vont jusqu’à transformer leur propre ferme en parc d’attractions. Avec de commodes excuses comme celle de faire de « l’accueil » ou de vouloir faire connaitre le métier. Le moindre geste de l’éleveur devient une activité à laquelle le visiteur peut s’adonner moyennant paiement : donner des biberons aux chevrettes, participer à la traite ou mouler son propre fromage, que l’on emportera chez soi. L’effet de marchandisation est tel qu’on finit même par ne plus reconnaitre le geste agricole derrière l’organisation marchande. Par exemple, lorsque le pâturage des animaux est organisé en fonction des heures de portes ouvertes, ou encore lorsque la céréale est valorisée à travers un conditionnement en sacs de 100 grammes à 1,50 euro (15 000 euros la tonne) afin de pouvoir être distribuée aux animaux par les visiteurs, comme au zoo. C’est-à-dire, la céréale est 50 fois mieux valorisée par le geste du visiteur que par celui de l’éleveur quand il donne des céréales pour produire le lait de son fromage. » Des labels accompagnent ce mouvement de l'agriculture vers sa touristification et permettent aux agriculteurs de se faire connaître contre rémunération. Pour cela, leurs produits doivent répondre à un cahier des charges et à des contrôles. Par exemple, pour le label tourisme à la ferme, 51% des produits cuisinés à la ferme pour les touristes doivent être issus de la production de l'agriculteur, le côté terroir des plats doit être mis en avant. « Les gens ils viennent chercher ces produits, ils viennent chercher un coin de campagne, ils viennent chercher un accent, ils viennent chercher des gens du coin qui sont nés là, voilà, un échange, qu'ils n'ont pas sûrement ailleurs » nous raconte Christian Laforgue, fermier aubergiste ayant transformé sa ferme en business touristique (cf. le documentaire Le boum du tourisme à la ferme réalisé par Ghislaine Buffard). Ce sont donc les manières d'être et la vie locale que contient le produit qui sont vendues aux touristes comme "plus-value". Cet aubergiste en a conscience, et puisqu'il cherche à vendre ce que le client désire, il mettra en avant l’« authenticité » que le touriste est venu consommer. Et cette représentation de l’authenticité que le touriste vient chercher et qu’on lui propose de vivre en totale immersion dans l’univers artificialisé de l’agriculteur devient l’argumentation commerciale. La marchandisation de l'agriculture au profit du tourisme aboutit à une marchandisation de la représentation du monde paysan mais aussi de l'agriculteur lui-même qui par ailleurs a mué en prestataire de services touristiques ! 

La terre nourricière disparait sous son artificialisation concrète (bétonisation et macadamisation) et abstraite en ajoutant à la production « paysanne » son "authenticité" transformée en marchandises (nous pensons ici aussi à l'artificialisation par la sanctuarisation dans les parcs naturels où le paysage est un produit touristique). Le tourisme y participe grandement. Mais c’est parce que le tourisme est l'économie rurale qu’il s’implante et qu’il maintient les populations des arrières-pays. Comment pourrait-il en être autrement dans la situation actuelle ? Le problème n'est-il pas que chacun soit confronté à une situation individualisée et obligée à une rentabilité ? Le choix du moins pire serait le tourisme, qui, il faut le dire, recrée un lien entre l'agriculteur et la population, casse l'isolement de la profession et amène des revenus qui permettent le maintien de petites exploitations. Celles et ceux qui choisissent l’agro-tourisme, l’artisanat ou toute autre activité alternative à la désertification des arrières-pays ou à l’agro-industrie ne sont bien évidemment pas visées. Il est plutôt question ici de s’en prendre à cette société industrielle qui d’une part crée le désir, voire le besoin de tourisme campagnard, tout en détruisant la campagne par l'expansion productive et le suréquipement, notamment dans les grandes exploitations agricoles ou d’élevages industrielles, et d’autre part absorbe toutes les activités qui voudraient lui échapper (artisanat, savoir-faire anciens, petites exploitations) et pour cela peut imposer un tourisme dévastateur.

L'Office de l'antitourisme de Grenoble, le 5 septembre 2021

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