Tourisme, trafic aérien et société industrielle pour le climat

Publié le par Henri Mora de l'Office de l'antitourisme de Grenoble pour le journal Ricochets

Cet article a été publié il y a près de 18 mois dans le journal Ricochets n°27 – juin 2023.  Depuis sa publication, malgré certains chiffres annoncés à la baisse (- 2 % du trafic aérien intérieur en 2023 par rapport à 2022), la tendance mondiale reste au développement du trafic aérien. Boeing et Airbus continuent à enregistrer de nouvelles commandes et les chiffres du nombre de voyages internationaux augmentent toujours : « Avec 4,5 milliards de voyages, le trafic aérien a dépassé le record de 2019. Il doublera d’ici au milieu du siècle, affirment les responsables de la filière, poussant les besoins à 44 000 nouveaux appareils à cet horizon » selon la chronique « Airbus-Boeing, l’intouchable duopole » du journal Le Monde du 22 octobre 2024.

Tourisme, trafic aérien et société industrielle pour le climat

Les conséquences climatiques du tourisme sont souvent mises en évi­dence. En 2018 la revue Nature Climate Change soulignait l'importance de son empreinte carbone représentant en 2013 en­viron 8 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES)[1]. Selon une étude de l'Ademe de 2021 sur l'année 2018, le secteur du tourisme produirait en France 11 % des émissions nationales de GES[2]. D'après cette étude, 77 % des émissions du tourisme sont générées par les transports dont l'avion représente plus de la moitié. L'avion est pointé du doigt, mais l'aéronau­tique demeure un secteur stratégique qui joue un rôle fondamental pour l’activité et l’emploi.

Grave dilemme pour une société qui a accepté de se soumettre aux exigences de son organisation écono­mique pour bénéficier de progrès tech­nologiques et sociaux. Elle doit désormais reconnaître que ce contrat social a pour conséquence fâcheuse la destruction des conditions essentielles de la vie sur terre : empoisonnement de l'air, de l'eau, de la nourriture, dérèglement du climat, etc. Le deal est néanmoins alléchant. Il suffit de ré­pondre aux besoins de la société industrielle et capitaliste et en contrepartie on bénéficie d’avantages sociaux, quoique continuellement remis en question par des politiques dites d'ajustement... On peut ainsi, en va­cances, aller consommer au bout du monde. Tout le monde n'a pas cette op­portunité, mais en France, seulement 33 % de la population de plus de 18 ans déclare n’avoir jamais pris l'avion[3]. Il faut dire que certains vols low cost défient toute concurrence.

La société semble pourtant vouloir prendre le taureau par les cornes et renon­cer au moins partiellement à l'avion. En France, la loi climat visant à supprimer des lignes aériennes intérieures, l'engagement de certaines entreprises à remplacer les déplacements professionnels aériens par des visioconférences ou des déplacements en TGV et le développement de la honte de prendre l'avion ont en effet réduit le trafic aérien. Les chiffres officiels annoncent que le trafic intérieur à la métropole du premier trimestre 2023 représente 80,4 % de celui de 2019 (avant le Covid)[4]. Mais si nous comparons ces chiffres du premier trimestre 2023 à ceux de 2022, la tendance serait plutôt au développement du trafic : près de 8 % de trafic intérieur à la métro­pole en plus en un an ; sans souligner que le trafic aérien international en France a connu un bond de près de 35 % en un an pour se retrouver en ce premier trimestre 2023 à 92,9 % du trafic de celui de 2019[5].

Ces mesures législatives, professionnelles et individuelles produisent des résultats mais tant que l'organisation sociale – s'ap­puyant sur le travail et la marchandise, sur la production et consommation de masse – ne sera pas globalement mise en cause, le boycott de l'avion, la suppression de quelques lignes aériennes et les alterna­tives ne parviendront pas à réduire de ma­nière significative les émissions de GES. Les chiffres du confinement sont élo­quents : alors que l'activité est suspendue (34 % en France) ou réduite, que la grande majorité des avions sont cloués au sol, que l'ensemble des moyens de transport sont en partie à l'arrêt dans le monde, les émis­sions quotidiennes de CO2 ont diminué de... 17 % par rapport à 2019 ; ramenant le niveau des émissions à celui de 2006[6]. Et lorsqu'on nous annonce qu'en 2022 les émissions de GES en France ont reculé de 2,5 %, on ne souligne pas assez que cette diminution est surtout liée à l'inflation et que le secteur des transports (dont l'aé­rien) a subi une hausse des émissions de GES de 2 % entre 2021 et 2022[7].

Le nouveau contrat social semble avoir ad­mis la gravité du dérèglement climatique. Cependant peut-il vraiment résoudre les contradictions de la société industrielle, qui repose sur le développement de la pro­duction, de la marchandisation et de la mobilité, c'est-à-dire sur l'émission de GES ?

 

 

 

[1]  Manfred Lainent et al., « The carbon footprint of global tourism », Nature Climate Change, 7 mai 2018.

[2]  Le tourisme durable en France : un le­vier de relance écologique, communiqué de presse de l'Ademe, 8 juin 2021.

[3]  Les Français, les voyages et l'avion, étude réalisée par l'Ifop pour La Fonda­tion Jean Jaurès, juin 2022.

[4]  TendanCiel-L'indicateur mensuel du trafic aérien commercial n°115, ministère chargé des Transports et direction géné­rale de l'Aviation civile, mars 2023.

[5]  TendanCiel-L'indicateur mensuel du trafic aérien commercial n°103, ministère chargé des Transports et direction géné­rale de l'Aviation civile, mars 2022.

[6]  Corinne Le Quéré et al., « Temporary réduction in daily global CO2 émissions during the COVID-19 forced confinement », Nature Climate Change, 19 mai 2020.

[7]  Emissions de gaz à effet de serre en France : estimations provisoires sur l'en­semble de l'année 2022, Centre interpro­fessionnel technique d'études de la pollution atmosphérique (C1TEPA), com­muniqué de presse, mars 2023.

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