Extrait de l'ouvrage Le Feu vert - auto-critique du mouvement écologique

Publié le par Bernard Charbonneau

Extrait de l'ouvrage Le Feu vert - auto-critique du mouvement écologique

Bernard Charbonneau publie Le Feu vert - auto-critique du mouvement écologique aux éditions Karthala en 1980, dans lequel il dresse un vaste tableau de la révolte écologique et livre une analyse sans complaisance des contradictions et des lacunes de la nébuleuse qu'elle a engendrée.

Activité polyvalente et naturelle, l’agriculture – pas celle qui consiste à tourner en rond à longueur de journée le cul sur un moteur – résout les problèmes d’une société dissociée par la dichotomie du travail-loisir. Une population paysanne vivant dans sa campagne aurait sans doute moins de motifs d’aller retrouver la nature à Nouka Hiva : le voyage ne serait plus la fausse porte de sortie que la société ouvre à l’heure dite. L’écologie rencontre le loisir massif, par conséquent organisé, à tous les tournants de son action de défense. Fabricant d’un superflu qui peut être indéfiniment accru, l’industrie du loisir est l’un des moteurs du développement, et comme la nature est son objet, la première cause de son ravage. Seule la guerre peut gaspiller encore plus d’énergie et d’espace. Or ce loisir standardisé et concentré parce qu’organisé n’a pas de raison d’être, n’était-ce les profits des tours operators. Car sa justification est de fournir à tous ce qu’il anéantit : la nature et la liberté. Ce qu’il vend, c’est finalement le mur de béton au pied duquel hommes et autos s’entassent plus qu’à Manhattan, une vie encore plus tarifiée et taylorisée qu’à la chaine où l’O.S. cherche au moins à tirer au flanc. Le pire aspect matériel, et surtout moral, de la société néo-industrielle, ce n’est pas  le travail, mais l’industrie lourde du loisir. La pollution, la promiscuité, le mensonge d’une lutte de classes où l’obséquiosité des travailleurs le dispute à leur haine des touristes, l’étalage caricatural de la laideur et du conformisme bourgeois étendus au peuple y pourrissent au grand soleil. Ce n’est pas Billancourt, mais Saint-Tropez en août qui ferait désespérer de l’homme.

Il est donc urgent de dés-organiser le loisir en le rendant à lui-même, c’est-à-dire à la nature et à la liberté. Sans cela, avant dix ans, il aura souillé les derniers lieux de notre terrestre paradis. Il faut arracher le loisir aux griffes de ses divers organisateurs, trafiquants ou aménageurs, pour le rendre à la spontanéité humaine. Comme son domaine n’est pas le nécessaire mais le superflu – si ce n’est pour ceux dont il constitue le gagne-pain ou gagne-caviar –, le loisir n’est pas indispensable au minimum vital comme le travail. Il peut donc être exclu du marché et de l’organisation économique sans inconvénient grave. Toute propagande ou organisation touristique serait considérée comme un délit d’atteinte à la liberté et à la nature, et le loisir abandonné à l’imagination ou au risque : libre à vous de vous tuer en montagne ou en mer, le sauvetage ne vous serait pas garanti. Et autant que se peut, tout ce qui est béton ou moteur serait exclu de ce secteur. Les crédits consacrés à l’aménagement touristique, notamment au kraken autoroutier, seraient transférés ailleurs. Quant aux zones touristiques, au lieu de prostituer leur beauté et leur originalité, elles redeviendraient des pays comme les autres vivant d’agriculture ou d’industrie.

Une dés-organisation des loisirs permettrait entre autre de sortir de l’impasse d’un développement touristique qui çà et là tourne au pandémonium. En effet, si « les gens » trouvaient chez eux ce qu’ils cherchent en vain toujours plus loin, une bonne partie d’entre eux ne céderait pas à la panique estivale. Comme par ailleurs l’organisation concentre dans le temps et l’espace, une dé-standardisation entraînerait une diversification des loisirs qui disperserait les masses. Au lieu de se concentrer à Saint-Trop pour y être avec et devant les autres, on serait jardinier aux Andelys, menuisier à Bourganeuf, violoniste à Montmartre ou pêcheur au Vert Galant dans une seine d’eau, etc. Ainsi dans le loisir même s’esquisserait un autre travail, une autre vie, dont les produits de qualité, notamment ceux de la basse-cour, du potager et de l’atelier, pourraient être donnés ou échangés ; le gros d’une production de survie étant l’affaire d’un service civil consacré au contrôle d’une industrie automatisée. Et dans la mesure où, peu à peu, les jeux de loisir seraient réintégrés dans un travail plus humain et plus varié, la distinction s’effacerait. Mais il faut d’abord mettre M. Trigano hors d’état de nuire.

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